1925 - N° 13 - Notre premier moine


Notre premier moine

C'est là-bas, au fond de la botte du Hainaut..., au sud de Chimay. Un monastère aux murs bas et gris s’abrite derrière une dentelle de sapins ; son clocher svelte et mince domine toute la plaine. C’est la Trappe de Forges.

Des moines vivent là dans la solitude, coupant leurs journées de prières et de travaux champêtres. Oui, cinquante moines, de blanc vêtus, se sont retirés derrière ses murs ; ils y prient, puis, dans la grande plaine, ils labourent, sèment, moissonnent, engrangent. Dernier refuge de la vie austère et rude des moines d’autrefois, que cette abbaye qui prospère en plein XXe siècle, frivole et sensuel.

Voilà deux ans qu’un jociste de dix-neuf ans, grand et beau jeune homme, au regard profond et au front de marbre, s’en vint frapper à la porte du monastère.

Son apostolat au milieu des ketjes de Bruxelles l’amenait là une soirée d’été.

Puis, ce fut le long noviciat... Deux ans où l’on se travaille l’âme, où l’on laisse conduire par les sentiers abrupt, de la règle monastique, où l’on se plie à toutes les disciplines, à toutes les obéissances, à toutes les tâches...

Et, le 19 juin dernier, dans la salle du Chapitre, devant son Père-Abbé entouré de tous les moines, après s’être, dans un geste poignant d’humilité, étendu sur le sol, notre ancien compagnon se relevait et prononçait, d’une voix grave et paisible, ses vœux...

J’ai senti, j’ai palpé dans cette salle la puissance indestructible de notre religion qui seule est capable de faire tomber aux pieds de son divin Fondateur des âmes blanches et héroïques.

Le Révérendissime Père Abbé, après avoir donné l’accolade paternelle au jeune profès, lui souhaita un féconde vie monastique. « Jusqu’ici, vous n’avez entrevu de la vie monastique que les roses, mais vous verrez peu à peu ces roses faire place aux épines. Je vous souhaite d'être une fleur de la Passion de Notre-Seigneur. Vous avez d’ailleurs grandi sous la protection du Sacré-Cœur, et aujourd’hui que vous prononcez vos vœux, au jour même où l’Eglise célèbre sa fête, vous demanderez d’être toujours comme Lui, une victime d’amour, de souffrance, de sacrifice... »

En retournant le long des cloîtres clairs, le cher passé me revint au cœur ; les premiers cercles d’études, les premières récollections, les premières excursions... « Comme tout cela est loin, me disais-je, mais comme le Christ a bien fait d’appeler à Lui les meilleurs de notre équipe de 1919 et de 1920 ; puisqu’il en a fait, derrière les murs de leurs différents couvents, les multiplicateurs qui nous ont amené, cinq ans après, les milliers de jocistes d’aujourd’hui. »

Ils vont continuer d’être nos avocats auprès de Celui qui, seul, donne la fécondité à nos pauvres efforts et, pour que demain soit plus consolant encore qu’aujourd’hui ; pour que nous rassemblions derrière nos drapeaux jocistes, la foule immense des jeunes ouvriers belges, Seigneur, je vous le demande avant de quitter la Trappe de Forges, cueillez encore dans nos rangs, et à larges brassées, les âmes sacerdotales dont votre Eglise a besoin.

FERNET.

SOURCE

La Jeunesse Ouvrière, N° 13, 5 juillet 1925.