1920 01 26 - Cardijn à Tonnet

CARDIJN à TONNET, (Cannes), 26 janvier 1920

L’abbé Cardijn confie à Fernand Tonnet ses réflexions sur un « ordre laïc » d’« apôtres-ouvriers » et lui demande conseil à propos de son retour.

Mon cher Fernand, 26-1-20.

Comment vis-tu? Existes-tu encore? J’ai envoyé le manuscrit de Kurth à l’avocat Braun. Je vois que tu deviens l’ami de Haguinet et cela me fait un grand plaisir : inspire-lui surtout le désir du sacrifice, même de tout si c’est nécessaire. Je le crois capable de comprendre ce langage. Parfois je rêve d’un ordre laïc : les apôtres-ouvriers, qui se consacreraient entièrement à leurs frères de travail, qui aimeraient les ouvriers de cet amour insensé du Sauveur qui ne reculait devant rien pour les relever. Car c’est bien cela qu’il faut : faire monter les ouvriers, leur faire gravir la montagne sainte de l’Idéal, leur donner la conscience de cette ascension nécessaire. Cette besogne est lente, car il s’agit de changer complètement l’âme de l’ouvrier : c’est celui-ci qui doit affiner son propre esprit, son propre cœur, son propre goût. Il faut avoir confiance en lui pour s’atteler à cette œuvre de rédemption populaire, de manière à créer un jour le véritable mouvement de ceux qui non seulement voudront gravir la montagne, mais qui voudront entraîner leurs frères à monter.

Voici, réponds-moi par retour du courrier : y a-t-il un inconvénient à ce que je rentre le mois prochain ? De plusieurs côtés, on me conseille de rester jusqu’en avril. Pour quoi faire ? Ma santé ne sera pas meilleure alors que maintenant. Un séjour prolongé ne peut guère me faire du bien, j’en suis sûr. Je suis rétabli. Alors pourquoi rester ? Je pensais assister le 15 février à un congrès social à Lyon. J’avais même eu l’idée un instant de passer par Poitiers, Tours, Chartres, Orléans,... En tout cas, je serais peiné de devoir rester exilé plus longtemps. Ecris-moi bien sincèrement ton avis (1).

Et comment va la Jeunesse Syndicaliste? Attention à l’esprit, à l’âme. C’est tout. Leur âme de conquérants, d’apôtres, de purs! Oh ! mon Dieu, si on pouvait en former une douzaine, de tout à fait surnaturels, de ces ambitieux fous pour Notre-Seigneur, le pendant des apôtres-ouvrières  ; prions beaucoup dans ce but. Et tout le reste ? Comment cela va-t-il ? J’ai entendu que les propagandistes sont mécontents à cause de l’insuffisance de traitement ? Dis-moi ton avis sur tout, tout.

As-tu lu Pour la Russie, dans le genre de Clarté ?

J’étouffe ici, mon ami, à voir ces riches, ces paresseux, ces inconscients... Mon sang bouillonne quand je les rencontre et que je songe à ces malheureuses tuberculeuses qu’on ne parvient pas à caser.

Au revoir. Je te bénis!

Jos. Cardijn.

(Êv. Tournai, Fds F. Tonnet, B6 ; in-40 r°, manus Cardijn).

Notes

(1) Absent à la réunion des directeurs d’œuvres sociales du diocèse de Malines tenue à Bruxelles le 6 février 1920, l’abbé Cardijn était présent à celle du 5 mars 1920 (Papiers Belpaire  ; Comptes rendus des réunions des directeurs d’œuvres sociales des 6 février et 5 mars 1920).

SOURCE

Marc Walckiers, Sources inédites relatives aux débuts de la JOC, Nauwelaerts, Louvain - Paris, 1970.