Comment se fait-il, qu’avec la multiplicité de nos oeuvres catholiques de jeunesse, nos patronages, nos écoles, nos instituts d’enseignement professionnel, il y ait si peu de jeunes ouvriers chrétiens décidés à être, dans les milieux de travail, les propagateurs de nos idées sociales ?
Comment se fait-il, qu’il y ait tant de nos jeunes compagnons qui malgré une présence de plusieurs années dans des œuvres ou des écoles catholiques deviennent de fidèles et réguliers.cotisants des syndicats socialistes ?
Questions déconcertantes et troublantes surtout pour tous ceux qui s’entêtent à croire que le syndicalisme chrétien a un rôle constructif très important à jouer.
Ce rôle il ne pourra l’assumer que le jour où, méthodiquement, il aura su assurer son recrutement en jetant une passerelle sur le fossé qui le sépare de tous les centres de jeunes.
Cette passerelle, c’est la jeunesse syndicaliste.
Dès la dernière année d’école, il faudrait que l’on prépare les enfants à leur vie d’apprenti, et il faudrait que toutes les difficultés, auxquelles ils se heurteront, soient examinées devant eux.
Dans la vie du jeune ouvrier d’aujourd’hui il arrive une heure où les préoccupation professionnelles, où la question syndicale, se posent.
Jusqu’ici, nos jeunes gens furent souvent des timides, des peureux, des moutons, lorsqu’ils devaient prendre attitude à l’atelier ou à l’usine vis-à-vis d’une question syndicale. Cette mentalité disparaîtrait par une éducation syndicale qui embrasserait dans toute son ampleur le rôle du syndicat et c’est cette éducation là qui devrait se faire d’urgence dans nos œuvres et dans nos écoles.
Le syndicat devra être représenté à ces adolescents, à ces apprentis, à ces jeunes ouvriers comme étant un moyen de relèvement intégral de la classe ouvrière. Nous avons eu tort, bien souvent, dans notre mouvement syndical, de laisser croire à nos détracteurs, par l’insuffisance ou l’imprécision de nos déclarations, que notre syndicalisme n’était qu’un mouvement à crises revendicatives. Aux jeunes gens qui viendront à nous il importera de leur montrer la véritable portée du syndicalisme chrétien et la mission essentielle qu’il doit remplir dans les temps souillés que nous vivons.
Certes nous dirons aux jeunes qui s’inscriront dans nos groupements de jeunesse syndicaliste, que le syndicat veillera à maintenir ce qui a été conquis par leurs devanciers, dans la vie et l’organisation de leur profession, puis nous devrons leur dire que par delà le salaire, les huit heures, etc., il y a tout un programme fondamental à réaliser.
Et ce programme exigera d'eux cette révolution morale et professionnelles sans laquelle les avantages matériels que bon an mal an, la classe ouvrière conquiert, ne serviront pas à l’ascension que nous rêvons pour elle.
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La jeunesse syndicaliste doit grouper tous les apprentis et les jeunes ouvriers de 14 à 21 ans ; les élèves des écoles professionnelles les élèves du 4e degré.
Il est important que l’âge fixé soit adopté pour de nombreuses raisons d’ordre pédagogique. Ce n’est qu’à 21 ans que l’on peut estimer que la formation sociale et syndicale est sérieuse. Certains sont adversaires de cette limite d’âge et voudraient inscrire comme syndiqués adultes les jeunes gens dés l’âge de 16 ans. Pour qui est un peu au courant de l’atmosphère de beaucoup de nos réunions syndicales d’adultes d’une part et de la mentalité de la jeunesse travailleuse d’autre part, il est manifeste que c’est une erreur. Nous ne pouvons pas sous le vain motif de publier de gros effectifs de syndiqués compromettre le rendement en vocations syndicales que l’on veut atteindre par une pénétration lente et prudente dans les multiples œuvres de jeunesse du pays ; ce n’est pas à 16 ans que la formation syndicale des apprentis est faite, elle ne fait que commencer ; si donc on les enlève à l’action des groupes de jeunesse syndicaliste pour les englober dans les syndicats d’adultes, cette formation ne saura être complétée.
En laissant les jeunes dans des sections ; de J.S. jusqu'à 21 ans, nous leur avons permis de s’initier à toutes les questions où ils auront du faire preuve d’initiative, de responsabilité, d’audace, de persévérance, d’honnêteté.
Pour ce qui concerne l’apprentissage, renseignement professionnel, l’orientation professionnelle nous croyons inutile d’insister sur la nécessité d’un groupement de jeunesse ouvrière syndiquée qui aurait spécialement étudié ces questions.
De même pour le placement des apprentis problème très grave et qui ne peut être solutionné qu’en se basant sur des expériences faites dans des groupements de jeunes ouvriers.
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Voilà rapidement esquissé notre programme.
Il s’agira avant tout d’éducation ; lorsque nous aurons des poignées de jeunes militants ouvriers, qui se seront formés dans des cercles d’études syndicales, nous pourrons envisager un vaste mouvement.
Que ce soit donc la tâche de tous ceux qui gardent au cœur des sentiments d’inquiétude et d’angoisse pour ces milliers et ces milliers de jeunes ouvriers qui, à 14, 15 ans quittent nos œuvres et nos groupements pour toujours. Ah ! c’est si facile d’injurier notre jeunesse ouvrière et de la couvrir de tous les vices... Travaillons tous plutôt à lancer parmi elles des jeunes gens résolus qui seront des conquérants, des apôtres, peu importe le milieu difficile où Dieu les placera pour gagner leur vie. Carrément ils feront respecter les grandes idées de bonté, de fraternité, de chasteté, d’honnêteté, de conscience professionnelle, que le christianisme est seul à maintenir dans notre société d’aujourd’hui.
La jeunesse ouvrière nous donnera ces ardents, ces combatifs, ces bons meneurs, mais pour les susciter il faut avoir foi en elle... et puis il faut l’aimer... telle qu’elle est... Ces âmes ne se donnent qu’à ceux qui les aiment totalement.
F. TONNET.
SOURCE
La Jeunesse Syndicaliste, N° 9, septembre 1923